Yolanda

Nouvelle

9h du matin, je vois François sortir de la calle de la Universidad 3644, centro Historico, le souffle court, déjà assommé par cette chaleur, il déambule dans mes ruelles à l’ombre de mes bougainvilliers. L’air altier avec son panama sur la tête, ses lunettes noires sur le nez, chemise en lin immaculée, déboutonnée laissant apparaître une chaîne en or en grain de café. Ma douce lumière caribéenne lui dore légèrement la peau, se conjuguant parfaitement avec les couleurs chaudes, orangées qui tapissent les murs de mes enceintes. Je souris en voyant son appareil photo qui rebondit sur son ventre rempli d’arepitas, d’oeufs brouillés, de tomates et oignons finement coupés, de tranches de mangues, consommés entre deux gorgées de jus de guanabana. En somme, tout ce que peuvent offrir de bon, les âmes d’ici. Ces petites mains, vous les croisez à chaque coin de rue, devant chaque porte, fenêtre, trottoir, se prélassant avec leurs marchandises qui attendent d’être échangées contre un petit billet! Mon regard s’arrête sur une petite machette que vient de perdre le marchand boiteux d’avocat. Lui, ce qui le caractérise c’est son fameux cri, annonçant les premières lueurs du jour ou concluant les derniers rayons de soleil, tapant sur mes remparts 5 fois centenaires. Je le compare à un gallo au chant strident répétant « aguacate maduro, aguacate maduro » comme s’il fallait me convaincre que ses avocats étaient les meilleurs du monde, bien sûr qu’ils le sont!

Elle s’appelle Paola, Ana Maria ou Juliana, je ne sais plus, enfin je ne sais pas, sincèrement je n’ai jamais pris le temps de demander leurs prénoms, alors celle ci on l’appellera Yolanda. Et comme comme chaque jour de la semaine vers 7h, je vois la cambrure de ma p’tite dame sans âge, marcher sous cette chaleur arassante, pour combler les quelques km qui la séparent de mon centre historique et de ce qu’on peut qualifier son logis. D’ailleurs, je me questionne toujours sur l’adresse de son taudis, mais ça ne me regarde pas, tout comme le montant de ses vacunas qu’elle doit reverser. Comme hier et demain, et ce depuis 20 ans, sans dire depuis toujours! Aujourd’hui elle porte une de ses robes colorées, toujours bien repassées, faisant ressortir la couleur cuivrée, foncée de son teint et ses dents blanches, alignées telles les touches de clavier d’un piano. Il en manque une? Les dents du bonheur! Vous dira t’elle dans un éclat de rire! Elle exhibe une panière de fruits tropicaux fraîchement coupés de Bazurto, bien posés sur sa tête, qu’elle essaiera de revendre au meilleur prix à la force de ses zygomatiques. Elle se coiffe d’un turban bleu, jaune ou orange selon son humeur., ce matin il est rouge. Une pratique transmise de génération en génération, héritée de ses ancêtres forcés de venir sur mon port, pieds et poings liés dans les cales de galions depuis l’autre côté de l’atlantique. Elle connaît son histoire commune par coeur, qui a continué à 50Km de là, à San Basilio de Palenque mais elle ne pourra jamais vous l’écrire, illettrée, elle se remet qu’à son sourire pour partager fièrement son héritage transmis à la sueur du front.

Il est 9h30 et dans moins d’une minute François lèvera le pied sur la machette de Juanito qu’il cherchera une journée durant, puis se retournera et bousculera Yolanda qui laissera tomber son gagne pain du jour sur les pavés chauds de mes ruelles. François, lui n’a pas de temps, il doit prendre son taxi pour mon aéroport, je m’appelle Cartagena de Indias.

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